Elle a commencé très tôt, limpression de jouer la comédie. Ce nest pas désagréable, de jouer la fille. Se préparer pour un rendez-vous, souligner lœil, mettre du rouge à lèvres, jaime bien. A vingt ans, je disais facilement, je taime, si tu veux, moi aussi, et encore je taime. Ce nétait pas grave, les mots venaient tous seuls, moue étonnée, soupirs, javais limpression que cétait ça que les femmes faisaient depuis des siècles, pour quon les désire. Une sorte de grand rôle classique, dans lequel vous vous glissez. La petite, par exemple, la fille, la femme-enfant, celle à qui lhomme indique son chemin dans la rue. Et puis vers trente ans, la comédie a commencé à devenir douloureuse, tout simplement, je ny croyais plus. Perdue la foi, épuisé le rôle. Peut-être avais-je eu trop daventures, peut-être que la liberté use certains fantasmes, je navais pas dexplication, en tout cas, je voyais les fils, sourire, soupirer, minauder. Comédie. Cette fille que jétais, je ny croyais plus. Et je navais aucune idée de celle que jétais en train de devenir. Et lui, me désirerait-il encore ? Je regardais autour de moi, interrogeais mes amies. Chacune à sa manière traversait un changement. Lune appelait ça, désir denfant, lautre bisexualité, et une autre, créativité. Tantôt cétait une bonne nouvelle, tantôt une malédiction. Mais ce qui reliait ces transformations les unes aux autres, ce qui reliait aussi les femmes entre elles, demeurait un tabou, un secret bien gardé. Un pouvoir, peut-être.
