Le vrai est que pendant des années, dans un minuscule cahier vert, plein de notes serrées et dinextricables ratures, jai résumé mon pays de naissance, climat, m?urs, tempérament, laccent, les gestes, frénésies et ébullitions de notre soleil, et cet ingénu besoin de mentir qui vient dun excès dimagination, dun délire expansif, bavard et bienveillant.Ces observations, je les ai prises partout, sur moi dabord qui me sers toujours à moi-même dunité de mesure, sur les miens, dans ma famille et les souvenirs de ma petite enfance conservés par une étrange mémoire. Tout noté sur le cahier vert, depuis ces chansons de pays, ces proverbes et locutions où linstinct dun peuple se confesse, jusquaux cris des vendeurs deau fraîche, des marchands de berlingots et dazeroles de nos fêtes foraines, jusquaux geignements de nos maladies. Entre Nord et Midi, entre autobiographie, parodie et étude de m?urs, de lenfance à la mort, le Daudet que lon découvre ici est bien différent de limage brouillée quon en avait : plus ambigu, plus troublant, plus attachant, plus proche de nous. Il est lécrivain de la Provence, certes, mais aussi le premier romancier français qui ait donné une place au malaise non définissable et celui dont la prose était pour Mallarmé la plus proche qui fût du frisson .
