« Nous proposons une autre approche de lantisémitisme et de la raison qui en fait une métaphore singulière dun problème que toute famille humaine connaît et résout avec plus ou moins de succès : Quoi transmettre à ses enfants ? Les Juifs, dans cette approche, sont le peuple qui par définition est appelé à transmettre (et dabord à se transmettre). Quoi ? Eh bien, lexigence de transmettre. Mais encore ? Disons : transmettre lexistence, le fait de persister à être, la relation à lêtre ; et cette relation dépend de ce quon injecte dans le mot être. Cela va de lêtre divin, du Dieu, à lêtre possible ; ce qui implique par exemple : transmettre la rage qui peut combattre le destin. Parfois on y transmet le minimum, réduit à un mot, notamment être juif, avec dans ce mot un contenu variable qui peut même être vide. Dans ces conditions, quiconque a des problèmes avec la transmission peut se tourner vers les Juifs, fasciné ou hostile. Notamment, quiconque est dans le fantasme de transmettre le même, la même identité, le même fantasme de plénitude narcissique, peut se retourner contre eux. Quiconque pense avoir résolu la question de la transmission, sil en a fait par exemple une pure transmission de savoir, ou de conduite précise qui fonde une image de soi, peut être agacé par leur façon de maintenir la question de la transmission symbolique, parfois même de lincarner, en tout cas de la rappeler sans cesse ; en somme : de la transmettre. Ny a-t-il pas, à partir de ce point de vue, une tout autre approche de lantisémitisme oe Cest lenjeu de ce petit livre : exhumer du nouveau sur cette vieille question. »
