Denis Podalydès Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, quun studio denregistrement ? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute - sans effort de projection, dans le médium -, deux ou trois heures durant, je lis les pages dun livre. Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le monde est le livre. Les vivants que je côtoie, les morts que je pleure, le temps qui passe, lépoque dont je suis le contemporain, lhistoire qui se déroule, lair que je respire, sont ceux du livre. Jentre dans la lecture. Nacelle ou bathyscaphe, le réduit sans fenêtre où je menferme autorise une immersion ou une ascension totales. Nous descendons dans les profondeurs du livre, montons dans un ciel de langue. Je confie à la voix le soin de me représenter tout entier. Les mots écrits et lus me tiennent lieu de parfaite existence. Mais de ma voix, lisant les mots dun autre, ceux dun mort lointain, dont la chair est anéantie, mais dont le style, la beauté de ce style, fait surgir un monde déchos, de correspondances et de voix vivantes par lesquelles je passe, parlant à mon tour, entrant dans ces voix, me laissant aller à la rêverie, à lopération précise dune rêverie continue, parallèle et libre, je sais que je parle, je sais que cest de moi quil sagit, non pas dans le texte, bien sûr, mais dans la diction de ces pages. Alors dautres voix encore se font entendre, dans la mienne