Cest la mémoire qui fait lhomme. Il commence sa vie comme un enfant freudien : frappé en apparence damnésie, il a refoulé dans linconscient toutes ses blessures. Il grandit comme un jeune bergsonien : sa mémoire sert à laction, elle est toute pratique et tournée vers lavenir. Baudelairien, il retrouve le passé dans un parfum, une musique, dans la correspondance entre ses cinq sens. Avançant en âge, voici que, devenu proustien, des extases de mémoire involontaire lui font revivre le passé, peut-être même échapper au temps. Bientôt il vieillit comme Chateaubriand, ses souvenirs ne le consolent plus. Sophocle lui avait montré le chemin dŒdipe à Colone, celui de la sérénité après un passé chargé, sanglant. Peut-être sest-il égaré sur la lande où le roi Lear clame sa démence à tous les vents, là où il ny a plus de mémoire pour personne. Cest donc à la vie du souvenir, à sa nature, à son histoire physique et mentale quest consacré cet essai, qui sappuie à la fois sur les travaux scientifiques les plus récents et sur les résultats de lanalyse littéraire au fil des siècles. Les progrès des neurosciences permettent en effet de donner un support neuroanatomique aux descriptions littéraires dHomère, de Lamartine ou de Proust. Ce que la science découvre ou vérifie aujourdhui, le génie littéraire lavait souvent pressenti et décrit de façon artistique.